Togo, anticonstitutionnellement vôtre ?

Article : Togo, anticonstitutionnellement vôtre ?
Crédit: Drapeau du Togo - Crédit Pexels
26 avril 2024

Togo, anticonstitutionnellement vôtre ?

Le Togo s’apprête à devenir un régime parlementaire. Les députés togolais ont définitivement adopté le 19 avril cette nouvelle Constitution contestée par l’opposition, dix jours avant les élections législatives.

Le mot qui a le mérite de rendre le titre de cet article si long, fait l’objet de ce billet d’humeur.

D’entrée de jeu, j’aimerais préciser que cet article ne saurait tenir lieu d’un appel à une quelconque révolte, à une quelconque manifestation, sitting, ville-morte ou tout autre type de protestation populaire servant à marquer un désaccord face au pouvoir en place au Togo.

Je suis blogueur ou je prétends l’être au demeurant. Je suis membre de l’Association des Blogueurs Togolais (ABT). Suite aux évènements « parlementaires », de ces dernières semaines, certains n’ont que trop attendu une réaction de l’Association des Blogueurs Togolais. Je n’ai reçu aucun mandat pour écrire ceci ou cela au nom de l’association. Mais peut-être ne l’oublie t-on que trop souvent… Une association se veut d’abord apolitique. Elle est d’ailleurs ouverte à toutes les sensibilités politiques et peut accueillir en son sein, sans distinction de race, de sexe, ni de religion non plus, tout blogueur quelque soit ses choix politiques. En espérant qu’au moins en son sein, la qualité du débat ou du blog puisse avoir une certaine hauteur tout en soutenant le pluralisme des opinions et des points de vue. Ce qui n’est pas le cas au sein de notre classe politique.

Ceci dit, revenons à l’affaire aujourd’hui « pendante » devant le Président de la République et son pouvoir de promulgation. Au cours du mois de décembre de l’année dernière, une proposition de révision de loi constitutionnelle a été introduite dans l’hémicycle. A la fin du mois de mars, elle a été votée par une majorité écrasante de parlementaires, faisant fi, (alors même que c’était facile à comprendre) des règles et des interdictions édictées par cette constitution elle-même, quant à sa révision.

L’idée de ce billet est de prononcer avec tristesse et fatalisme, l’oraison funèbre de la constitution « sortante », ou même « mourante » ; et accessoirement, si vous en convenez avec moi, de boire à sa mémoire.

Ce que disent les textes

Une fois promulgué, ce qui se décline entre les lignes qui suivent pourra être qualifié de « textes anciens ».

L’agonisante constitution stipule par exemple dans son article 30 que « l’État garantit dans les conditions fixée par la loi, l’exercice des libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifique et sans instrument de violence ». Le maitre-mot ici c’est : « garantit ». Même si une conférence de presse a été interrompue et quelques manifestations tuées dans l’œuf. Même si…

Mieux, selon cet article 45, « tout citoyen a le devoir de combattre toute personne ou groupe de personnes qui tenterait de changer par la force, l’ordre démocratique établi par la présente Constitution ». On sait jamais comment ce texte peut-être interprété. ça peut finir en échauffourées, pneus brûlés, etc. De nos jours, plus personne ne veut se rabaisser à cela. ça sent la fatigue et franchement, depuis les années 90, (après 34 ans), on a raison.

Si vous trouvez comme moi que ces deux articles sont trop durs et qu’à tort, cela peut pousser « la bande d’incontrôlés » à s’illustrer en animosité, Dieu nous en garde, regardons un peu plus bas dans la bientôt ex loi fondamentale, l’article 74 : « Le Président peut adresser des messages à la nation; il s’adresse une fois par an au Parlement sur l’état de la nation. » Allons regarder un peu ces dix voire quinze dernières années ? … No comment.

Qui juge de la constitutionnalité de la loi ? Article 99 : « La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. » Malgré ce pouvoir, la Cour Constitutionnelle est soudain très silencieuse ; et sort de son mutisme seulement pour célébrer l’accueil de ses nouveaux membres.

Essayons encore autre chose. L’article 146 : « La source de toute légitimité découle de la présente Constitution. » Celle qui n’est pas respectée ?

Drapeau du Togo. Crédit : Pexels

Aussi surprenant que cela puisse paraître, quand ça arrange la majorité, elle s’appuie sur cette même Constitution à l’article 52, notamment son dernier alinéa, celui qui stipule clairement que « les membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat sortants par fin de mandat ou par dissolution restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs ». Un but à zéro.

Ils enfoncent le clou avec le deuxième alinéa de l’article 144, où il est écrit que « le projet ou la proposition de révision de la loi constitutionnelle est considérée comme adoptée si elle est votée par la majorité des quatre cinquièmes (4/5) des députés ». Là, le filet tremble une deuxième fois.

Sauf qu’en face, on oppose assez clairement, dans le même article, l’alinéa numéro 5, celui qui dit qu' »aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim, ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Deux buts à un, pour la majorité. À la limite on fait intervenir la VAR car ici on considère ou pas, suivant les différents bords politiques, que l’Assemblée Nationale est intérimaire depuis la fin de son mandat. On rappelle également que la région des Savanes au nord du pays est en état d’urgence, et ce qui fait que l’alinéa prend tout son sens. Disons qu’on reste au même score de deux buts à un.

Là où se produit l’égalisation, c’est l’article dont la majorité ne veut pas entendre parler. Le fameux article 59, le seul qui se suffit à lui-même dans cette Constitution puisque précisant qu’il ne peut être modifié que par voie référendaire, car il dispose de la durée du mandat présidentiel : 5 ans ! renouvelable une seule fois ! Et c’est justement pour éviter que cette durée ne soit raccourcie ou ne soit allongée par un toilettage quelconque qu’il a été encadré, goupillé, cristallisé par la modification par voie référendaire. Deux buts partout ! A ce niveau, techniquement, aucune révision de Constitution ne devrait faire sens. Mais bon…

Troisième but avec les textes de la CEDEAO ratifiés par le Togo qui demandent qu’on ne touche pas à la Constitution à quelques semaines d’une élection. Mais bon, là encore, passons… Ou lisez le très bon article du Doctorant Mougue Bibi Pacome, il est bien plus complet que ce blog et on en ressort en homme averti.

Coup d’œil dans le rétroviseur

Aux lendemains de la Conférence Nationale Souveraine, la Constitution nouvellement adoptée, donc flambante et neuve, donnait déjà l’impression d’avoir été taillée sur mesure contre le Président Eyadema. 10 ans plus tard, alors que finissaient les deux mandats qu’autorisaient cette constitution, pour le Président Eyadema, une Assemblée Nationale à majorité RPT (le parti au pouvoir) retouche la loi fondamentale pour sauter le verrou de la limitation de mandats et établir d’autres dispositions allant à l’avantage du chef d’État. Enfin taillée sur mesure.

Chose curieuse, 13 ans plus tard, c’est encore un groupe parlementaire du parti au pouvoir UNIR (refonte du RPT et autres ailes marchantes) qui introduit une proposition de loi pour limiter le nombre de mandats présidentiels en 2015. C’est même durant cette modification, que la voie référendaire, seule voie à suivre pour réviser l’article 59 fut inscrite noir sur blanc.

« Le maître-mot d’un article ce n’est pas qui, quand, où, comment, mais le pourquoi » – je cite le personnage du journaliste Elliot Carver dans James Bond – Demain ne meurt jamais. « Pourquoi » le même camp politique qui a verrouillé 9 ans plus tôt une loi fixant la durée du mandat présidentiel s’échine aujourd’hui à la modifier au forceps, passant outre les garde-fous de cette voie référendaire rajoutée en couche de protection sur l’article 59 ?

C’est écrit sur le tombeau de Martha Mitchell, femme de Procureur du temps du scandale du Watergate aux Etats-Unis, écrit aussi sur le mur à l’entrée du bâtiment de la CIA, l’agence de renseignement américain : « Vous recherchez la vérité et la vérité vous affranchira » – Jean 8:32.

Pour ainsi dire que sur ce qui fait courir le pouvoir vers un régime parlementaire, en vérité, nous n’en savons rien !

Le régime parlementaire, fashion

La nouvelle Constitution, sauf rebondissement, sera promulguée prochainement par le chef de l’État. L’article 67 indique un délai de 15 jours. Mais même-là, la loi n’est pas claire. Le délai de 15 jours s’applique peut-être seulement à la première délibération. Si le texte est renvoyée en deuxième lecture et qu’il est retourné à l’exécutif, le délai de promulgation est-il toujours de 15 jours ?

Autant le rappeler et vous laisser vous faire votre propre opinion : « Le Président de la République promulgue les lois dans les 15 jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée par l’Assemblée Nationale ; pendant ce délai il peut demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles, la demande doit être motivée. La nouvelle délibération ne peut être refusée. »

On peut donc être sûr. Au stade où on en est, soit elle est promulguée et nous buvons tous le calice jusqu’à la lie, soit elle ne l’est pas et de toute façon, rien ne change, ce qui ne serait pas trop mal.

Cela dit, pourquoi cherche-t-on à passer d’un régime présidentiel (où le Président est élu au suffrage universel direct, donc élu par l’ensemble de la population) à un régime parlementaire (où les représentants du peuple élisent le Président de la République au parlement, mais aussi un Chef de Gouvernement qui parait-il sera affublé pour le coup, du vocable de Président du Conseil et dans les mains duquel sera concentré le véritable pouvoir exécutif).

Alain Foka, le patron de Mansa Group défend ce choix de gouvernement. Son argumentaire est tout de même abscons. Il s’agit selon lui, de ne plus concentrer le pouvoir dans les mains d’une seule personne et de passer à un système de démocratie « plus ouvert » ou quelque chose dans le genre. Le camp présidentiel est même allé dire que ce système de gouvernance améliorerait les conditions de vie de nos populations. C’est trop facile.

L'Assemblée nationale du Togo, le 8 janvier 2019 à Lomé.
Assemblée Nationale togolaise. Crédit : Wikipédia commons CC0 Kayi Lawson (VOA)

On a entendu également quelque part le « Une élection présidentielle en moins, c’est plus d’économies pour l’État » ? Encore trop facile.

Chose intéressante, un des acquis du régime présidentiel ou semi-présidentiel semble se perdre une fois que le Président du Conseil, chef de l’exécutif est élu par le Parlement. On ne sait pas si le mandat de celui-ci est finalement limité ou non dans la nouvelle constitution, ce qui, suivez mon regard, peut rouvrir un boulevard à la majorité et à son chef, un peu comme en 2002. En ce moment-là, gouverner, ce n’est plus prévoir, c’est aussi s’ouvrir un boulevard me diriez-vous ?

Mais là encore, passons. Intéressons-nous à ce débat plus profond qu’est la séparation du pouvoir exécutif du pouvoir législatif. Dans le cas d’un régime parlementaire qui semble séduire le pouvoir en place, cette séparation est occultée. Si une majorité parlementaire élit une personne à la tête de l’exécutif, il y a un retour de flamme qui fait de cette dernière non seulement le patron du parti, le patron de la majorité représentée à l’Assemblée Nationale, et le chef du gouvernement. L’argument de Foka parlant d’un système ouvert a vite pris du plomb dans l’aile. Aile marchante ou aile volante, à vous de voir.

On ne s’en rend pas souvent compte mais en regardant la carte du vieux continent européen, en termes de régime de gouvernance, on peut faire rapidement le constat : mis à part la France, tous les pays sont à régime parlementaire. Aucun d’eux n’élit son Président au suffrage direct et tous les chefs de gouvernement sont les chefs de la majorité parlementaire.

Sous ce régime, le chef de la majorité impulse les lois qui régissent la vie politique durant le mandat. Chez les Anglais, il a fallu deux ans pour faire adopter une loi anti-immigration incluant une croisière imposée aux immigrants, demandeurs d’asile vers le Rwanda. L’actuel Premier Ministre a fait des pieds et des mains pour obtenir le vote de cette loi à quelques encablures d’élections législatives où n’oublions pas, comme partout en Europe et par les temps qui courent, les tendances nationalistes ont la cote. Le constat est facile : tout va bien dans un régime parlementaire jusqu’à ce que le chef de la majorité se trompe. Et là c’est deux institutions, le Parlement et le gouvernement, qui iront se tromper avec lui.

L’autre exemple est celui de la Belgique, et le souvenir impérissable laissé par ses législatives de 2019. En l’absence de majorité dégagée par un seul parti, il a fallu plus d’un an pour s’entendre sur la formation d’une majorité parlementaire et former un gouvernement. En pleine crise pandémique, un gouvernement de fait avait été mis en place rapidement par obligation ; nom d’oiseau ou pas, je le laisse à votre convenance et c’est très belge, ils l’ont appelé « le gouvernement minoritaire de plein exercice ».

D’un autre côté, on nous dira que l’herbe n’est pas verte du côté du régime présidentiel non plus. Mais tout est une affaire de loi et de texte. Nous parlions de l’Europe, vieillie, royaliste avec de surprenants choix politiques. Et si nous tournions notre regard vers ceux qui ont fui l’Europe avec la ferme intention de ne plus reprendre les mêmes erreurs, les Américains ? Ce pays qui nous surprend à chaque fin d’année quand il s’agit de voter le budget de l’année suivante. Le Congrès bloque les propositions de l’exécutif jusqu’à l’obtention d’un arrangement ou une entente complète. De nombreuses fois, ils ont poussé la bagarre entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif, allant parfois jusqu’au fameux shutdown, c’est à dire à la fermeture de l’Administration Publique pour absence de budget, pendant que les discussions s’éternisaient. Bel exemple de démocratie à côté duquel passe Alain Foka ? Le législatif contrôle l’exécutif, l’exécutif contrôle le législatif, un jeu de pouvoir qui est assez transparent et qui montre qu’avec des sensibilités hétéroclites on puisse arriver avec force débat à atteindre une homogénéité des lois.

Que conclure ?

Et surtout, que faut-il faire face à ce changement ?

D’abord ne plus s’en mêler parce qu’il y a trop de zones d’ombre. Pourquoi changer de régime parlementaire si subitement ? Pourquoi le faire avec un parlement en fin de mandat ? Bref, où est l’urgence ? Et pourquoi fait-on fi des interdictions inscrites noir sur blanc dans la Constitution qui préviennent, telle une prophétie, cette révision un peu trop forcée.

Il n’y a pas grand intérêt à vouloir observer, non sans douleur, des institutions perdre l’une après l’autre le peu de crédit qui leur restait.

Cela reste mon opinion et je ne vais pas aller manifester pour autant ou m’en réclamer. Cette révision constitutionnelle est comme de la triche. C’est une situation où l’on s’appuie illégalement sur l’ivraie pour gagner ou obtenir un nouveau type de mandat. Une sorte de nouvelle expérience partant du mauvais pied.

En général, nous commettons tous l’erreur de croire qu’il est interdit de tricher. Alors qu’il n’en est rien. La vérité est qu’il est interdit de se faire prendre en train de tricher. S’il n’y a aucun rapport de force qui puisse prendre le tricheur sur le fait et le condamner, alors il s’en sort et on ne peut rien lui faire.

Si vous avez compris ça, vous ferez comme moi, c’est à dire ne rien faire.

Article 150, dernier alinéa : « Tout renversement du régime constitutionnel est considéré comme un crime imprescriptible contre la nation et sanctionné conformément aux lois de la République. »

Mais comme on nous dira aussi que c’est pas ce que le texte voulait dire…

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