Pourquoi les Chefs d’Etats Africains ne sont pas aussi Garissa que Charlie ?

5 avril 2015

Pourquoi les Chefs d’Etats Africains ne sont pas aussi Garissa que Charlie ?

Qui connaît Garissa ? Oui, Garissa, cette petite ville Kenyane qui abrite pourtant une Computer Technology University déjà pour commencer. Mais pourtant non, c’est pas Paris donc, les reporters des grandes chaines de télévision qui pouvaient  faire du direct ? bah oubliez les kenyans ! Rien que ça ! vous irez chercher la dizaine de morts à Charlie Hebdo pour les mettre dans une balance à côté des 148 morts de Garissa, l’aiguille des émotions ira à … Paris ! bien sûr, et vous savez pourquoi? eh bien ce blog va vous l’expliquer.

On pourra tout de suite tout mettre sur le compte du genre humain, la méchanceté des hommes et tout ça, le racisme, la centaine de noirs morts ne valent pas les quelques blancs décédés etc. mais que nenni ! trop facile ! Les chefs d’états africains sont allés soutenir leurs suzerains, ils ont toujours été les valets de la France etc. Trop facile ! Voici comment en vérité il faut voir la chose.

1. La raison la plus bête à trouver est que le Kenya n’organisera pas de marche contre le terrorisme comme Paris l’a fait. Du coup, comme personne ne marche, pourquoi les Chefs d’Etats Africains très très charlie iront marcher tous seuls ou avec leur pote kenyatta pour devenir très Garissa. Bien-sûr, vous me direz, le raisonnement est également trop facile. On va donc améliorer au point 2.

2. Le Kenya, rappelez-vous n’est pas un pays aussi sécurisé que la France.

La France n’a pas de problème de sécurité. Sur son territoire, elle  n’a jamais été frappée par un attentat terroriste comme les Etats-Unis, ou encore l’Angleterre et l’Espagne. Par contre au Kenya, …

Ce n’est pas la peine de vous rappeler ici qui sont les auteurs du carnage, ce sont des shebabs, des islamistes avides de faire couler le sang des infidèles (les chrétiens) au nom d’Allah; et ceci à chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Le Kenya étant un pays voisin et une grande terre brusquement promise, ils peuvent y faire des incursions. Historiquement, une ambassade Américaine au Kenya avait déjà été la cible d’un attentat meurtrier organisés par les mêmes fous d’Allah (ou leurs proches cousins); vint ensuite les attaques fugaces des islamistes somaliens en territoire kenyan, ce à quoi le pays d’origine de Barack Obama riposte avec beaucoup d’entrain (Le Kenya a donc déclaré la guerre aux islamistes somaliens), et puis un souvenir plus récent, l’attaque d’un supermarché de Nairobi où une prise d’otage a permis une fois encore à ces shebabs de présenter quelques clients à Dieu en personne. _ je saute les étapes pour faire vite _ mais je vous montre à quel point le pays est déjà difficile à gérer côté sécuritaire. Du coup comme Nairobi n’est pas Paris, et que Garissa n’est pas comme le quartier qui abrite le siège de Charlie Hebdo, bah euuuuh… les grandes chaînes européennes ne vont pas s’amuser à débarquer des envoyés spéciaux là-bas pour en faire des candidats à « comment devenir otages des shebabs de la somalie ». Or, si on fait pas de direct toutes les vingt minutes sur Garissa avec les grandes chaines d’infos dans le monde, bah euuuuh… l’intéressement du téléspectateur en prend un coup; et en deux jours, tout le monde aura oublié.

3. Le Kenya n’a pas bonne presse comme la France

Tout le monde, les médias, les diplomates etc soutiendront le Kenya du bout des bras. Ils le regarderont de loin et diront « oh lala, c’est triste… bon, what else?… Nespresso… allez, on boit un coup et on s’encule (c’est une expression française consacrée, cliquez sur le lien pour vous en assurer). »?

Le Kenya ne peut pas jouer dans la même division, sur le plan des droits de l’homme. L’homophobie est suffisamment ancrée au sein de la population. Les homosexuels sont jetés en prison et cela à votre grand désarroi suscite plus d’émotions chez les « jesuischarlie » qu’un shebab qui zigouille un kenyan. ça c’est normal, vous voyez? Aujourd’hui, la liberté sexuelle est un critère de démocratie, du coup quand votre pays n’en a pas… bah il est pas forcément bien vu… Mieux encore, le pays s’est spécialisé en crimes économiques. Barack Obama, est venu leur dire en substance qu’ils étaient trop corrompus (eux les kenyans) et qu’ils devaient changer. Enfin, leur image de barbares qui se battent entre eux s’est exacerbée quand ils se sont illustrés en violences post-électorales. On massacre, on pille et on brûle des maisons entières avec ou sans habitants à l’intérieur (ça dépend des options choisies) par le pyromane. Pour des gens qui font 1500 morts et 300 000 déplacés en 2007-2008 après la présidentielle, on se dit qu’un carnage à la shebab à 148 morts, ça ne bat pas leur propre record; ça a revu même leurs ambitions massacrantes à la baisse.

4. Le Kenya n’a rien fait contre les visées expansionnistes des islamistes en Afrique Occidentale. Alors que la France si !

Oui, d’accord, le Kenya n’avait pas le temps, il courait après ses propres démons chez le voisin somalien. La France, elle a créé l’opération SERVAL pour venir au secours du Mali, et par extension de l’Afrique de l’Ouest… sinon, si les MNLA, MUJAO et Ansar-Edine, avaient zigouillé le Mali et déstabilisé le Niger avant de faire l’Anschluss de Burkina, qui était les prochains sur la liste si ce n’était le Togo et le Bénin. Et puis, n’oublions pas que nous Africains avons une grande culture des funérailles et sommes entièrement reconnaissants envers nos sauveurs, vers qui il est normal d’aller, quand ils pleurent leurs morts. Si des Chefs d’Etats Africains deviennent Charlie, c’est qu’ils compatissent vraiment avec celui qui les a sauvé du terrorisme, et qui est lui-même frappé du même terrorisme…

Ces quatre raisons mises bout à bout jouent de l’afrobeat dans l’inconscient de nos dirigeants. Ils ont tous pris position pour soutenir le Kenya, mais à moins que ce soit leur homologue Kenyan qui soit frappé lui-même par la mort, aucun chef d’état fut-ce t-il africain n’envisagera ce déplacement.

Il faut juste avoir à l’esprit, et c’est le formidable sursaut dont font preuve les réseaux sociaux, que maintenant plus que jamais, il faut être garissa, ou simplement kenyan, tout en restant tout aussi Charlie. Le terrorisme se fédère (allégeances des groupes islamistes africain à al qaida, puis à daesch), il faut que ceux qui s’élèvent contre eux, se fédèrent également.

#jesuisgarissa

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Commentaires

Laurier d'ALMEIDA
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Belle analyse !

Eteh Komla ADZIMAHE
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merci patron ! (lol)

Eli
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Très bel article. C'est un peu cynique de le dire mais apres tout ces chefs d'Etat africains ont raison hein. Pour eux qui sont en quete de validation, un #jesuischarlie ferait plus tape à l'oeil qu'un #jesuisgarissa qui passerait inaperçu sur les grands medias. Leur discrétion sur Garissa illustre là toute l'incohérence de leur position face au terrorisme.

Eteh Komla ADZIMAHE
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La Realpolitik recommande d'aller là où tu sais que tu as encore des chances n'est-ce pas?

renaudoss
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Je partage parciellement ce point de vue. Il est clair que le Kenya n'a pas le "dossier" aussi fourni que ces chers buveurs de vin.

Eteh Komla ADZIMAHE
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Santé !

John
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Je rejoins Laurier un peu tardivement en disant "belle analyse".

Eteh Komla ADZIMAHE
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Merci John !