Pour ceux de Nos Pères qui s’en vont…

24 octobre 2015

Pour ceux de Nos Pères qui s’en vont…

Pour ceux de nos Pères qui s’en vont…

Fixons tout de suite un axiome. Dans nos Pères, il faut bien inclure nos pères et nos mères, nos parents tous sexes confondus…

Je me suis souvent moqué de mon frère et ami Lovejoyce Amavi. En attendant qu’on soit encore plus frères dans d’autres circonstances, en d’autres temps et en d’autres lieux, j’ai toujours jeté un regard rieur sur ses écrits baignant dans le spirituel, l’existentialisme, le comportement du genre humain, les guides de vie et d’homme, cet être situé entre l’infiniment grand (l’univers), et l’infiniment petit (l’atome), de telle sorte que pris de vertige, il se rend compte qu’il est un être incompréhensible… Je crois que c’est dans Micromégas de Voltaire.

Aujourd’hui, je vais essayer de faire comme lui, mais ça ne sera jamais assez bien comme il le fait… et j’en fais tout de suite amende honorable…

J’écris cet article un peu à brûle-pourpoint. Pendant que mes émotions « bonjour tristesse », mes sentiments à la Françoise Sagan m’animent. Car après tout, quand j’irai manger le haricot-riz traditionnel du samedi midi (*Ayimolou) avec mes amis, fous d’esprit, grands amusés de tout et bons viveurs, tout à l’heure, je ne serai plus dans le même état d’esprit.

Je rentre d’une messe d’enterrement. Le père d’un ami s’en est allé. Willi Deh il s’appelait. Homme discret, effacé. Géophysicien, ayant servi son pays, les mines et les hydrauliques de la terre de ses aïeux avant d’être frappé par la maladie quelques années après sa retraite. Un triste destin. Quoique ! J’espère que les heures heureuses de sa vie lui ont laissé des souvenirs à se remémorer dans son immobilisme de ses dernières années d’existence. L’homme est un ami de mon père, de ma mère, des pères et mères de mes autres amis, allez ! On est tous devenus des gens de la même famille, même si moi, un salaud obscurantiste côté sentiment, n’ai jamais réussi à témoigner mes affections aux personnes qui m’entourent et/ou dont je m’entoure.

Il y a deux semaines, je suis allé saluer la famille éplorée. Mon ami, ses sœurs, son frère, sa mère, et les autres parents alliés et amis. Je m’étais assis sur la terrasse vide ; l’ensemble des membres de la famille se réunissait pour l’organisation des obsèques dans le salon du défunt. Il pleuvait des cordes. Je regardais les murs, les linteaux, les poutres, la bâtisse mortuaire. Puis cela a fait tilt dans ma tête ! Suis-je bête ? En fait, c’est ça le truc. L’empreinte qu’on laisse, les choses qui restent après nous. Ce que nous bâtissons et qui nous aura survécu. Le patrimoine qui porte notre étiquette, la trace laissée ici-bas, pendant que l’âme s’élève.

Dans Rencontre avec Joe Black, le personnage incarné par Anthony Hopkins : « Un homme doit pouvoir laisser une empreinte sur cette terre et ne laisser personne la piétiner » !

Ce qui reste après notre départ, de l’empreinte que nous avons laissée, quoi qu’il advienne : biens vendus, volés, expropriés, spoliés… C’est qu’une histoire quelque part retiendra qu’il y a une seule personne qui en a été le créateur, l’instigateur, l’inventeur de cet artefact laissé ; cette même histoire si elle reste honnête condamnera les vendeurs, les voleurs, les expropriateurs, les spoliateurs, etc.

Si nos biens ne restent pas, leur histoire, l’histoire de leur existence reste.

Nos Pères, cette drôle de génération, que j’ai vu au loin dans l’église ce matin, les cheveux blancs, visages défaits, traits tirés, sont ceux qui ont cru en leurs pays en faisant des études dans d’autres, pour venir ensuite servir le leur. Hélas, les lendemains ont chanté faux, et nous leurs fils et filles les enterrons avec leurs rêves qui déchantent, leurs déceptions converties en déchéance, tout en tentant de sauvegarder le peu qu’ils laissent sur terre comme trace de leur passage. Pas qu’ils nous laissent ! Grand Dieu, non ! que ferons-nous alors de ce que nous voulons construire et laisser à notre tour ? C’est plus ce qu’ils laissent aux regards des autres, à la vue de la terre qui les a vus naître et mourir ! Ce qu’ils laissent pour la sauvegarde de leur propre nom !

Bah justement, et nous ? Que laissons-nous ? Que construisons-nous de nos jours ?

Je réponds pour moi. Rien ! Je suis un salaud, grand défaitiste de la vie qui ne pleure pas aux messes d’enterrement, ni aux cimetières, là où on ne lit plus les noms effacés sur les tombes. Je ne laisse encore rien, et je ne vais pas égrener le chapelet de misère de ma vie de chômeur. Merde, j’ai essayé, et ça n’a toujours pas marché. Et sincèrement, à un moment donné, j’ai donné de ma personne pour les maigres salaires et émoluments ! Alors je m’en fiche un peu aujourd’hui. Qu’une meilleure situation vienne ou que ce soit une vie de merde, ou la mort après… Après tout ce que nos Pères ont fait, on ne peut pas grand-chose pour eux, parce que notre génération est mal barrée. Triste génération de sacrifiés sur les sacrifices de nos Pères. On n’a peut-être pas été souvent les premiers de la classe ? On n’a pas réussi à l’école, donc on ne réussit pas dans la vie ? On est incompétents notoires, on a raté le cursus scolaire, nos diplômes n’ont pas autant de valeur que le veulent les entreprises ? Nos expériences professionnelles ne sont pas suffisantes, en fait, on est trop nul c’est ça ? ou, ah encore mieux, on est né sur le continent où tout est mal barré. Dieu a quitté l’Afrique il y a longtemps, les idiots qui font la politique, liguent les uns contre les autres, des gens meurent, pour l’argent, les ressources minières, les ressources pétrolières et tout le reste.

Bah justement, qu’est-ce qui reste ?

J’ai des amis tout aussi salauds que moi, peut-être même plus. Ils n’aiment juste pas écrire, sinon, ils auraient eu le Renaudeau de la connerie, le Goncourt de la bêtise sur plusieurs années à la suite. Une fois, une fillette de huit ans, vilaine (grosse tête, grosses narines, grosses bouches, vilaine dentition) gambadait quelque part pas loin de nous. Un de mes amis l’appelle. Elle s’approche, et il l’engueule sans aucune situation initiale provoquée par elle.

« Hey, viens ici ! pourquoi tu es vilaine comme ça ! eh ! déjà, tu es mal barrée, personne ne va t’épouser même ! regarde-toi ! tu crois que tes grandes sœurs là, qui ont des maris fortunés ont été vilaines comme toi ? Qui sont tes parents même ? Ils ont fait comment, et puis ils ont raté ce que tout le monde fait pour faire de jolis enfants. Oh ! bon ! il faut faire de grandes études. C’est ton seul espoir ! tu dois apprendre, être la meilleure à l’école, battre tous tes camarades dans toutes les matières pour avoir une minuscule chance de réussir. Sinon, tu vas rester ici, finir sans rien, zéro ! hey ! tu m’as compris ou pas ! regarde-moi ».

La pauvre fillette pleurait. Nous riions. Aujourd’hui à la vue du cercueil d’un de nos Pères, j’ai repensé à elle. Il n’y a pas très longtemps, on nous a dit qu’elle a réussi au bac avec mention « Bien » et qu’elle a été admise au concours d’entrée à l’école des médecins militaires. Lui avons-nous fait du mal ou du bien ? L’avons-nous plongé dans un désespoir tel qu’elle est devenue une battante de la vie ? Lui avons-nous fait faire ce que nous-mêmes n’avions pas fait, parce qu’on s’est trouvés beaux ? (bof, attendez… vous m’avez regardé ?).

Qu’est-ce qui fait que nos vies finissent dans la déchéance, la tristesse et le dénuement ou dans l’épanouissement et le bonheur.

Durant nos études supérieures, Mr Gnaro un de nos enseignants aux multiples matières (Technologie avancée des réseaux, électrotechnique, électronique de puissance, automatisme, machines simples) disait que sa seule consolation, c’est que riches ou pauvres nous tous de la même façon. Oui, mais ces instants in articulo mortis sont-ils les mêmes ? D’autres peuplés de souffrance et de longues maladies, d’autres encore, de jours heureux et d’une mort facile, un soir en s’endormant dans son lit.

Je suis un salaud défaitiste, et j’ai arrêté de courir et de demander, parce que je me souviens des jours de ma fin. En ces jours, il n’y a rien ! un corps sans vie et derrière moi, les œuvres de ma vie, que j’ai du mal à accomplir pour l’instant.

A quoi donc tout ce pour quoi nous nous battons, frimons, jugeons, classons, chassons, tuons, trompons, osons, aurait-il servi ? (on aurait pu ajouter ici tous les verbes que compte la langue française, mais à quoi cela aurait-il servi ) ?

Pour ceux qui se sont gavés de victuailles, après avoir trompé, volé, escroqué, fraudé…  A quoi tout cela aurait-il servi ?

Pour ceux qui ne font pas grand-chose comme moi, et qui aiment paresseusement laisser les choses telles quelles, une fois qu’elles ne causent aucun tort (c’est ma philosophie de vie, moi grand conservateur), au moins nous gagnons au change, parce que nous préservons ce qui est bien ! nous préservons le bien. On ne fait rien, mais en même temps on ne se bat pas pour rien ! Sinon, couchés à la fin dans le fond du cercueil, à quoi aura servi tant d’effort pour gagner au détriment des autres, ce dont nous voulons les priver ?

Tout le reste au soir de nos vies, quand des hommes seront postés devant notre ensemble, 4 planches (il n’y a que des hommes qui les portent d’ailleurs. Aucune émancipation de ce côté-là ?) sera ce qui est resté après nous ?

Ceux qui sont aficionados de la façade dans la vie, foutue apparence soignée à prix de produits esthétiques et de scalpel, à quoi cela aurait-il servi ? ça va pourrir après de toute façon. Plus c’est dépigmenté, plus vite ça fout le camp.

Mr Saba, enseignant d’électronique de puissance, cette matière où on fait des calculs sur l’électronique des générateurs d’un circuit électrique, était un grincheux, nerveux, qui admonestait ses étudiants s’amusant de sa nervosité, et ne prêtant aucune attention à ses courbes sinusoïdales du courant à l’entrée et à la sortie des circuits de générateur. « On peut tout vous arracher dans la vie ! sauf la connaissance ! C’est le seul bien que vous possédez ». Il est impossible d’oublier cette sortie mémorable de Saba.

Mais alors, que nous reste-t-il ?

Les bouddhistes pensent qu’il n’y a ni lieux sacrés, ni personnes sacrées. Il n’y a que des instants sacrés ! et c’est cet instant même.

Les Indiens pensent qu’il faut vivre, apprendre, mourir et oublier tout.

Que nous reste-t-il ?

Une chose est sûre, nous ne restons pas. Le mal que nous faisons ne reste pas, les hommes le détruisent et/ou le classe dans les heures sombres de notre histoire. En revanche, Le bien que nous faisons, le bien pur sans calcul, et sans arrière-pensée, reste ! Seul lui nous survivra.

C’est donc pour ça que tout est bien qui finit bien ?

Peut-être mon article aura-t-il permis d’ajouter une approche de réponse à cette question…

Comme mon ami Kwessi, un jour nous irons enterrer nous aussi nos Pères, pour qu’ils rejoignent leurs pairs…

Et de toutes ces têtes blanches assises aux premiers rangs ce matin, que restera-t-il ?

Allant sur la fin de cette année 2015, je commence par traverser des périodes jonchées de cadavres de proches et de personnes que je connais. Mon oncle (le frère de mon père) est mort en fin de semaine dernière. La mère d’un ami nous a quittés à 82 ans ! elle aura vécu. Ma grand-mère (mère de ma mère) décédée en 1976 à Badou, aura enfin une pierre tombale digne de ce nom, avec un peu de marbre… le luxe absolu dans le basique total. Le père d’un ami blogueur s’en est allé.

Dans la condition humaine, il est triste de ne pas pouvoir rendre d’hommages in vivo aux êtres qui nous sont chers. On n’a pas le temps. Nos vies faites de vitesse et de précipitation annihilent la diffusion des affections les uns aux autres. On attend qu’ils s’étiolent et qu’ils s’éteignent.

Et après, retour à la course des vivants. Maurice de Bevere, créateur de Lucky-Luke : « Le matin, je me réveille, je prends le journal et je regarde la page nécrologique. Et si je ne trouve pas mon nom, bah, je me mets au travail« .

Je pense que c’est ce que le personnage de William Forrester (campé par Sean Connery) tente de dire dans le film A La Rencontre de Forrester : « Le repos de ceux qui sont partis jamais ne calmera l’inquiétude de ceux qui viendront« .

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Commentaires

Laurier d'ALMEIDA
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Chaque vie est un miracle dit-on. Mais le final est énervant. Aucun de nous n'en sortira vivant.

Mes condoléances pour le décès de ton oncle.

Eteh Komla ADZIMAHE
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Merci le boss !

Guillaume DJONDO
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Le Salaud émotionnel comme c'est touchant. Ton billet renvoie encore une fois à la question existentielle que l'on se pose dans de telles circonstances. Mais par dessus tout, tu arrives à nous faire encore rire.

Condoléances à toi et à ton ami.

Eteh Komla ADZIMAHE
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Merci le frère