Togo : souriez, vous êtes e-gouvernés !

Togo : souriez, vous êtes e-gouvernés !

Nous vivons une époque formidable. Ils appellent ça le « e-gouvernement », ou la dématérialisation de l’administration. En gros, ca veut dire :

  • qu’à l’avenir, le papier disparaitra (pour qu’on coupe moins d’arbres aussi, que vont devenir les rastas ? :mrgreen: ) ;
  • que les documents seront tous électroniques ;
  • qu’ils seront accessibles et exploitables à tout moment et en tout lieu (la magie de l’internet).

Normalement, une fois que la « Vision 2030 » se fera plus claire, vos pièces officielles personnelles (acte de naissance, certificat de nationalité, diplôme, casier judiciaire), les documents administratifs de l’Etat, les projets…  auront des existences digitales. On ne perdra plus de documents, il n’y aura plus de courrier. On sait grâce aux niveaux hiérarchiques de validation et aux étapes d’établissement de tel ou tel dossier, où se trouve chaque document, chaque pièce, chaque facture, chaque ticket … Cela concourt à desserrer les freins de l’avancement des dossiers administratifs dans notre pays.

C’est l’émergence n’est-ce pas ? Du réseau fibre optique coule le lait et le miel. OK… mais ça, ça n’arrive pas tout de suite ! D’accord, du côté du Ministère des Postes et de l’Economie Numérique, on a mis beaucoup de moyens pour faire un premier pas vers cette digitalisation de l’administration togolaise mais… ce billet vous dira que la nuit est encore longue, et qu’on n’est même pas sûr que le jour vienne !

Dans les prochaines lignes, je vous montrerai rapidement le côté mignon de la chose, puis le côté pas mignon, et je sèmerai même en vous _si vous restez jusqu’à la fin évidemment_ la peur de l’éléphant blanc, cette espèce pas totalement en voie de disparition dans nos sociétés et administrations africaines !

Le côté mignon

Pour faire du e-gouvernement au Togo, on a commencé par relier 560 bâtiments publics dont 543 rien que dans la capitale Lomé et la différence, à Kara, l’autre ville-là qui euuh… bon, c’est bon là hein !

250 km de fibre optique ont servi à relier tous ces bâtiments à un centre informatique unique où sont hébergés les serveurs informatiques (ces gros ordinateurs surpruissants qui contiennent la partie essentielle des applications utilisées par les différents ministères, les équipements de distribution de réseau, etc) ça s’appelle un « Network Operation Center » (NOC) ou centre des opérations de réseau (traduction littérale).

Là où ça devient très sexy, c’est que chaque utilisateur disposant d’un équipement connecté dans un de ces bâtiments a accès aux ressources de son ministère, ou à celle d’autres ministères, du gouvernement, de la présidence, de l’assemblée nationale, de la primature, etc (documentations et applications) pour faire son travail comme cela se doit en ce début de 21ème siècle. Il paraît qu’à l’international (sur le réseau internet), un bâtiment public surfe à 100 mégabits par seconde, et plus si affinité au niveau des équipements dont il dispose.

Tout a donc été mis en place pour commencer par héberger les premières données de nos ministères, de nos hôpitaux, de nos campus et de certains lycées (35% des lycées publics de Lomé).

Jusque-là ça va et vous vous demandez où est l’os ? Patience, on y arrive…

Le côté pas mignon (the dark side, je vire carrément Star Wars, espèce de salaud schizo va ! )

Dans le cadre de la célébration de la Journée Mondiale des Télécommunications et de la Société de l’Information, le Ministère en charge de ça (je raccourcis la phrase en fait) a invité une trentaine de blogueurs, et influenceurs (je lis le communiqué de presse là) pour une journée d’information sur le e-gouvernement.
Ce qu’ils ont évangélisé aux blogueurs est la bonne parole du côté mignon que vous avez lu un peu plus haut. Aussi, quand on va franchir la ligne sur laquelle j’écris là, ça va tourner au massacre kr kr.

Allez, non, soyons sympas. Ce que je m’en vais formuler a déjà été reconnu par le Ministère. Oui, les infrastructures actuelles permettent de « numériser » tous les contenus gouvernementaux (Ministères, Institutions de la république, et autres organes publics). Mais non, le e-gouvernement n’est pas encore effectif. Pourquoi ?

Bah, parce qu’il n’y a pas suffisamment d’ordinateurs pour tous les travailleurs de l’état togolais ! Du coup, avec quoi vont-ils se connecter au réseau e-gouvernement ? Allez, je vous donne un exemple : le Ministère des Postes et de l’Economie Numérique nous parle de onze mille utilisateurs connectés sur la plateforme e-gouvernement en journée. Mais, … et c’est là où ça se gâte, la majorité de ces connectés le sont par leur téléphone androïd. Vous suivez là ? Cela veut dire que la majorité des travailleurs du public connectés actuellement sur la plateforme e-gouv  viennent  s’y amuser ou traiter leurs affaires personnelles avec leur smartphone. Whatsapp ça vous dit quelque chose ?

Même rengaine pour le projet ENT, censé doter les lycées publics d’un outil applicatif permettant de gérer une base de donnée des établissements où l’on peut voir pour chaque élève inscrit, les notes reçues, les devoirs que leur ont donné les professeurs(et probablement les corrigés), l’emploi du temps de la classe. Un parent (comme cela se passe au lycée français, ou encore au cours Lumière à Lomé (désolé pour la pub) suit l’actualité de son enfant grâce au projet ENT installé sur un serveur e-gouvernement. Il sait avant même de rencontrer son enfant en soirée, quel devoirs il a à faire, s’il a reçu telle note etc. Le suivi électronique de son enfant est mignon. Mais … évidemment… même après la relative défiscalisation des équipements numériques importés au Togo, le nombre de foyers connectés à internet au Togo est toujours très bas. Et les salles de professeurs dans les lycée doivent encore être à l’âge de pierre de l’informatique. Comment on rentre les notes de chaque élève dans l’ENT déjà ? Comment le parent d’élève se connecte au réseau e-gouvernement pour voir l’état scolaire de son enfant ?

Je vais même plus loin pour évoquer le côté sécuritaire. Et cette question vaut aussi bien pour l’avenir que pour le présent… enfin quoique… Au vu des velléités djihadistes manifestées ça et là au Mali, au Burkina-Faso, et en Côte d’Ivoire ; et au regard de la facilité déconcertante avec laquelle un marché a brûlé en une nuit au Togo (personne ne l’a vu venir d’ailleurs), le e-gouvernement intègre t-il la mise en place d’un site de repli, un NOC identique à celui mis en place pour prendre le relais en cas de sinistre ? Parce que centraliser les données du gouvernement dans un NOC c’est bien ! Mais s’il part en fumée, c’est toute l’administration qu’on paralyse. Et comme notre pays a suffisamment montré qu’il est poreux aux sinistres…

Voilà, le miel est devenu amer (limite si l’abeille n’a pas chié dedans ?) et le lait est caillé.

La peur de l’éléphant blanc

Quand un projet de l’Etat ne sert in fine à rien, sauf à remplir les poches des promoteurs durant sa mise en place (commission, retro-commission, détournements, durant la construction et la mise en place du projet), on appelle ça un éléphant blanc. Cet animal dont tout le monde parle, en vantant sa beauté, sa majestuosité, sa grandeur, mais que personne ne voit jamais…

Vous voulez des exemples je sais … bon, je vais me gêner… mais je fais ça vraiment pour vous hein : « Hôtel 2 février », le plus bel éléphant blanc de notre pays. Dans les années 80, il est accablé par un rapport de la banque mondiale stipulant que l’hôtel depuis son ouverture n’a jamais fait de bénéfices, tout en coûtant près de 2 milliards par an, en frais d’exploitation. Depuis il a été fermé, bradé, loué, cédé, et renfloué à l’endroit d’un groupe Indien qui, parait-il, se serait mis à s’essoufler un peu dans la gestion. On croise les doigts.

Il paraît qu’hélas les éléphants blancs n’ont pas disparu de nos pays, que certains individus à l’esprit retors tournent et retournent la viande dans la braise, pour croquer, voire sucer l’os jusqu’à la moelle.

Dans le cas du E-gouvernement, si, sur un certain nombre d’années, une révolution numérique n’est pas opérée dans nos ministères où les machines à écrire attendent d’être remplacées par des ordinateurs, le Togo risque d’accoucher d’un énième éléphant blanc, à fière allure, se dandinant et se déhanchant dans la forêt de ses semblables. A moins de franchir ou de s’approcher du ratio un ordinateur par travailleur, le e-gouvernement risque de s’assoupir, pour ne peut-être jamais se relever.

C’est pour cela qu’aussi loin que vont mes pensées à la Ministre en charge de l’économie numérique, et son équipe de jeunes remplis de bonne volonté (ça se voit à l’œil nu)… je m’interroge, le menton au creux de ma main, accoudé à une des tables de la salle 102 du Ministère, le 17 Mai 2017 : comment font-ils pour croire à quelque chose qui vient à peine de franchir l’entrée du tunnel. L’autre bout est encore loin, et le chemin pour y arriver n’est pas que pavé de bonnes intentions.

Quand j’ai soulevé ces quelques inquiétudes que je viens de coucher dans ce billet, on m’a dit là bas au Ministère : « Il faut quand-même commencer quelque part »….

Eh bien, vous avez commencé, et nos pensées vous accompagnent pour que vous réussissiez. Le e-gouvernement n’est pas pour le ministère, il est pour le peuple. « De tout ce que la politique peut être amenée à faire de mal, elle le doit au diable par excellence » disait un certain Edem Kodjo. Et comme personne au Ministère de l’économie Numérique n’a l’air d’avoir le diable au corps…

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Commentaires

belizem
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Ce n'est plus un éléphant blanc mais un e-léphant

Eteh Komla ADZIMAHE
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Si ce n'était pas qu'une question de forme, j'aurai dit que vous faites de l'esprit d'éléphant

Morningstar
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Rires...

Morningstar
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Et bien, ceci fait un sacré billet frere.
T'as soulevé des points sensibles oui. J'en souleverai encore d'autres dans la meme dynamique si je devrais etre l'auteur, mais bon...reste à voir si ça rentrera vraiment dans des oreilles des non-sourds. C'est quasiment suffisant ton analyse. Chapeau, bravo et courage.

En esperant qu'il y aurait des gens extra qui accepteront parlé pour dire des choses utiles comme toi...

Eteh Komla ADZIMAHE
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Il faut soulever frère, plus on soulève, plus on... (bon, je suspends ce que je disais en trois points n'est-ce pas) ... enfin, ne vous privez pas de soulever les points sensibles (le commentaire s'est barré en c***lles, désolé). Merci d'avoir kiffé !