Togo – Service des passeports – La carotte sans le bâton
Blogcamp 2015 à Kpalimé, dernier module, l’atelier d’écriture animé par @mylneflicka. Cette bébé-blogueuse béninoise, avec sa bébé-voix qui me fait un cours pour grande personne. Et je lui tire mon chapeau. D’ailleurs ne nous demande t-elle pas de faire un chapeau avant le corps de l’article? Eh bien, voici mon long chapeau 🙂
Il faut se le tenir pour dit – j’ai promis de faire un article sur Kpalime, petite ville nichée entre les montagnes, aux artères allant et venant sur des versants abrupts, et aux habitations couchées les unes au dessus/en dessous des autres, sur plusieurs collines, à l’envers comme à l’endroit, le tout à 120 bornes de Lomé la capitale (sanctifiez vos pensées ici, avant de poursuivre) – d’ici là, j’ai déjà fait trois brouillons pour trois articles différents… et comme j’ai l’habitude de me brouiller avec mes brouillons, patience… patience, je corrige entre les heures élastiques de bureau (aucun respect pour le code du travail dans les banques, c’est lamentable, la banque ne connaît pas la crise, parce qu’elle ne connaît pas les 35 heures, ni les 40 d’ailleurs, à la rigueur les 50, etc)… Donc, ça mouline, ça se couche et se recouche sur du papier, quand il y a un peu de temps, ça mouille petit à petit, patience, quelque chose va finir par perler au bout !
D’ici là, allez savoir pourquoi faire un passeport ? Pour retourner à Kpalimé ? Diantre ! non ! Je suis Togolais pur-sang, libre de circuler à l’intérieur de ses frontières. Seulement on m’a annoncé récemment que je dois me rendre pas très loin de chez moi (en tout cas en zone UEMOA) vers la fin du mois de novembre, échanger avec des confrères d’une même secte d’Illuminés… et les damoiselles qui s’occupent des formalités (elles se sont levées très tôt, c’est clair qu’elles sont pas africaines) m’ont forcé à faire un passeport alors que je pouvais me faire porter directement par avion rien qu’avec ma carte d’identité sur la terre des aficionados de l’immigration par barques et pirogues _ par pertes et profits de migrants aussi (Seuls les initiés pourront décoder).
Pour moi, aller faire son passeport, c’est le chemin de croix, le transport du crucifix grandeur nature _ c’est cru, ça me scie les nerfs, j’ai besoin de me faire un fixe pour tenir _ les longues attentes, la queue, ma queue, ta queue, leurs queue-leu-leu (et s’il y a un homosexuel, doit-on s’inquiéter ?)… 😮
Service des Passeports du Togo. Temps de Dépôt des dossiers. J’ai chronométré :
- Arrivée à 6 heures 00 : je suis un salaud insomniaque, le poids des péchés salaces sur ma conscience qui m’empêche de dormir ?
- Départ à 09h15 : je n’ai pas été pistonné.
3h15 minutes pour déposer les pièces pour son passeport; un de mes patrons a carrément applaudi à mon arrivée au bureau pour la rapidité du Service des Passeports du Togo : La DGDN, la Direction Générale de la Documentation Nationale serait devenue plus rapide en raccourcissant d’au moins deux heures, le temps des formalités ! ça se fête. Champagne ! à Sabler et/ou à sabrer, si vous êtes plutôt Samouraï alcoolique ?.
Je m’en vais donc vous parler du Service des Passeports au Togo, une Affaire Nationale ! et donc sérieuse ! mais oh, que dis-je ? Un salaud lumineux brusquement sérieux ? Noooooon… Et ce n’est pas faute d’avoir essayer. Seulement j’ai fini par tout gommer avec la touche backspace, car un village d’irréductibles neurones salopes résiste encore et toujours à une césarienne qui les extirpera définitivement de mon cerveau. Attention donc au lâcher de laisse, lâcher de bride, les méninges se réchauffent, allons voir les services policiers du passeport togolais. <Fin du chapeau/>
Au Togo comme partout ailleurs en Afrique, le policier est bien l’individu qui doit nous protéger, mais en même temps il est un véritable traumatisme dans notre inconscient. Il est :
- La personne dont on a le plus peur – Conséquences des périodes électorales, préélectorales, postélectorales émaillées de violence où la Police n’en fait pas à sa tête, mais à la tête du client au pouvoir, en tapant sur le civil opposant.
- La personne qui a plus peur que nous, car faute de moyens, il préfère ne pas venir à notre secours pour se retrouver face à des bandits plus armés que lui. Demander au petit écolier, j’ai de la suite dans ses idées…
Donc évidemment, quand on va faire son passeport, on est un peu sur le qui-vive, quitte à se faire rabrouer, ramasser, admonester, par un policier parce que vous n’avez pas fait exactement ce qu’il dit. En bon togolais, j’allais au service des passeports, le mercredi matin, avec cette appréhension-là :mad:. Un stress qui resserre mes intestins absorbant le Café moulu des moines de Zogbégan. What else ?
Ayant vécu les années troubles s’étendant sur la période 90-98 dans mon pays (de mes yeux d’enfant) ; années rythmées de courses-poursuites policiers-civils, et d’enfumage réglementaire au gaz lacrymogène, je me suis très vite laisser convaincre que la peur du policier (ou du gendarme) était le commencement de la sagesse… Ce vieil axiome français. A la rigueur, la Police des passeports se serait peut-être légèrement améliorée avec la politique de large ouverture mise en place par le Chef de l’Etat actuel (Son visage encadré dans tous les bureaux du service), en jouant au bon flic-méchant flic, (bon cop, bad cop); maniant ainsi la carotte et le bâton.
Et pourtant, que nenni ! J’ai été agréablement déçu !
Toute la police du Service des Passeports a semblé être aux petits soins ! Un sens de l’accueil inattendu. Il ne manquait que le sourire commercial. Mais les policiers restent avant tout des corps habillés droits dans leurs bottes. A chaque étape du parcours pour le dépôt de dossier, toujours le même ton respectueux, et les phrases ponctuées de « Excusez-moi » et de « s’il vous plait ».
La police togolaise a-t-elle participé à des journées portes ouvertes sur le marketing et la communication ?
Un policier, blouse bleue légèrement foncée, assis à une table, sous le grand hangar, remplit sur le formulaire, la partie réservée à l’administration. Avec sa voix de stentor, il fait :
« S’il vous plaît, vérifiez que vous avez rempli tout le formulaire » – « S’il vous plaît passez pour la taille (mesurer la taille) » – « S’il vous plaît patientez, nous allons procéder à l’appel dans l’ordre de ramassage des dossiers » – « veuillez-vous asseoir, s’il vous plaît, on va vous rappeler dans un instant » « S’il vous plaît, commencez par délacer vos chaussures, nous allons passer à la taille » (façon de dire qu’on va mesurer la taille des demandeurs du précieux titre de voyage (Mon préccccciiiiiiieeeuuuuxxxx… #Golum #Leseigneurdesanneaux #JRTolkien)
C’était genre « woaw… » (Je parle comme les jeunes). En revenant de Kpalimé, le dimanche dernier, on s’est trompé de pays? On a dû traverser la frontière sans le savoir ? ou traversé l’espace-temps pour se retrouver dans le Togo en l’an 2100 etc.
Un autre policier, chargé, lui, de quantifier en mètre, la taille du demandeur, faisait montre d’un vocabulaire très limité mais largement suffisant à l’accomplissement de sa tâche. Une personne s’avance vers la toise. Il entre, se retourne et plaque son dos contre la règle verticale. Le policier :
« Les deux pieds joints à l’arrière» – « regardez devant vous » – « tête bien droite » (il fait glisser le curseur d’en haut et le pose sur le plat de la tête). Il annonce « 70 » (pour dire 1m70) à son collègue prenant note sur les formulaires ; puis d’une voix grave, le regard dans le vague et le vide, le policier : « sors » ! Le policier assis à la table appelle à la toise un autre demandeur. Mesure de taille, mêmes groupes de mots :
– Les deux pieds joints à l’arrière
– regardez devant-vous
– tête bien droite
– 73 !
– Sors ! (la partie que j’adore le plus… j’ai du entendre ça au moins une cinquantaine de fois) !
Un homme souffrant d’une infirmité localisée au niveau de son pied gauche, claudique et vint se mettre en position contre la règle de mesure devant le policier distrait par autre chose. Il s’aperçoit dans les secondes qui suivent qu’un homme s’est adossé à la règle, et sans faire attention à son infirmité prononce ses mots habituels : « Les deux pieds joints à l’arrière » « regardez devant vous »… Le policier fait glisser le curseur vers le bas puis s’aperçoit que les deux pieds ne sont pas joints à l’arrière comme il faut; et que celui de gauche est légèrement surélevé par rapport au pied droit. Il reste respectueux de l’individu : « Chef, les deux pieds joints s’il vous plait » ! L’homme fait mine de ne pas l’écouter, regardant droit devant lui. A ce moment-là des personnes dans l’assistance, les co-demandeurs de passeport, lui lancent : « C’est un infirme, il ne va pas pouvoir se tenir droit ». Le policier se ravise et se confond même en excuse, et là encore sans sourire : « Oh! tu es tangué ? excuse moi hein ». Il mesure sa taille. Et prononce l’inévitable « Sors » ! Rire général. Rire de l’infirme qui retourne s’asseoir, claudiquant.
J’entre dans une pièce du bâtiment, accueilli par deux hommes. Celui d’entre les deux qui me fait asseoir, en face de lui, se relève un instant, pour jeter un coup d’œil au-dehors (histoire de contrôler le nombre d’arrivants à sa table), puis se rassied. Je juge rapidement sa taille. 1M95 minimum, physique d’armoire à glace, visage émacié, traits osseux, bras musculeux et grosses mains calleuses ; un physique d’athlète, du Usain Bolt, un brin plus baraqué. Je suis circonspect. Miracle, il a un demi-sourire qui s’attarde sur son visage. Pendant qu’il me prend le dossier des mains, il scrute mon regard en me parlant. Il est rapide : agrafage de mes deux photos sur deux parties différentes du formulaire, remplit lui aussi une partie du formulaire pendant qu’il m’interroge :
- Bonjour Monsieur ! vous êtes de quel village ?
- Euh (je m’attendais vraiment pas à entendre ça, moi et mon village pfff… enfin bref) D’Agotimé
- Vous avez quel âge ?
- 31 ans (et je ne mets pas sur mon 31?)
- Vous faites quoi dans la vie ?
- (Qu’est ce qu’il me veut celui là, je sais plus ce que je fais dans ma vie, études en télécoms, ayant fini par accepter un emploi de technicien support informatique pour une banque de la place, faute de mieux et encore c’est pas un CDI, euuh, qu’est ce que je lui dis) euuuh… informaticien
- Vous faites quoi dans l’informatique ?
- (Wow, c’est abusé là, mais bon en même temps, le sourire n’est pas parti, ça commence par m’amuser) Réseaux Télécoms (là il commençait par me chauffer…j’étais prêt à lui expliquer tout ce qu’il veut sur les réseaux, la transmission des signaux etc.)
- (Il me tend mon dossier), vous pouvez passer à la caisse pour payer.
Il appuie sur une sonnette, annonçant au prochain de venir prendre place.
Le tout n’a pas fait une minute. Woaw !
J’arrive à la caisse, hagard, tendant mon dossier et tirant trente mille francs CFA de ma poche quand, woaaaaaaaaaw, nouvelle surprise, j’aperçois (à percer soi-même) à travers le hublot une nymphe assise devant un ordinateur, happant le dossier et l’argent. La plus belle policière qu’il m’ait été donné de rencontrer. 😯 Elle est habillée en civil. Les cheveux n’étaient pas défrisés. Les tempes presqu’entièrement rasées. Des cheveux garnissant le haut de son crâne. Dans les années 90, on donnait à cette coupe capillaire le nom de « Ghana Boy », parce que étant typique des cordonniers ambulants ghanéens, aujourd’hui une espèce disparue (n’a-t-on pas prévu d’en sauver quelques-uns en les mettant dans un zoo pour leur permettre de se reproduire en toute sécurité ?). Mais re-concentrons-nous sur la caissière-policière du Service des passeports. Attendez ! Woaaaaaaaaaaaw ! (je vais finir sénégalais avant la fin de ce billet). Elle a un teint noir, très prononcé, qui met en valeur le blanc de ses yeux, le nez plus aquilin qu’épaté, soulignant son long visage. Le menton s’effile en pointe. Une once de timidité diffusée par son regard. Le corsage décolleté mais pas échancré était d’un blanc immaculé, où un dessin de lianes bourgeonnantes en petites fleurs (Sydney Bechett ?) remontaient de chaque côté le long du buste gonflé par une poitrine moyenne. Le petit tailleur noir passé par dessus avait définitivement fini de me séduire. J’étais au guichet du paradis. Elle me tend un reçu. Ah la déception dans mon cœur, caché sous mon visage impassible. Un salaud, ça montre pas ses sentiments.
Je retourne m’asseoir pour attendre la dernière étape « photo numérique et la signature ». Le policier, un peu plus vieux, qui me reçoit, se confond lui aussi en excuses ! Ma parole, on leur a payé des cours de zenitude, bouddhisme, chakra machin ou quoi. Quand c’était mon tour de prendre place en face de lui, il m’avait encore fait attendre, pour faire passé un pistonné probablement. Il lit mon prénom : Eteh (nom attribué dans le clan Adangbe, chez les guins, au troisième fils de son père).
- Vous êtes Adangbé ?
- Oui (avec un peu de sourire… histoire de me rassurer en priant silencieusement, finissons-en, que je retourne m’habiller chez moi pour retourner au bureau, raaaaaaaaaaa…)
- Adangbé de quel village ?
- Agotimé !
- Aaaaaah Agotimé Zukpé ! Ma femme est d’Agotimé Zukpé ! Vous aussi ?
- Non, moi c’est de Kpetoe !
- Ah bon ? vous êtes du Ghana alors ! Qu’est ce que vous faites ici alors (il disait ça en souriant mais moi j’étais de moins en moins sûr de moi. Quitter une nymphe plantée derrière un hublot pour finir dans un interrogatoire sur mes origines).
- Mon père a quitté le Ghana jeune, il a fait toute sa carrière ici, au Togo, et moi je suis né ici, j’ai passé toute ma vie ici, je vais rarement au village (en fait, j’y connais pas grand monde donc… euuuh… autant faire le salaud au Togo, c’est déjà ça !).
- Ah d’accord. Bof, de toute façon, on est tous les mêmes hein, c’est la colonisation et tout ça qui nous avait séparé. Sinon, je vais au village de ma femme tout le temps, mes enfants se font faire des tenues traditionnelles en pagnes tissés-là
- Ah oui les Kente
- Voilàààààà… non, c’est bon, levez un peu la tête, tournez là légèrement vers la gauche (Clac) ! Signez ici ! Ok. Ça fait dans dix jours hein… (ah le soulagement, j’étais déjà debout, j’avais le feu au derrière, je me confonds en remerciements et en vœux d’excellente journée etc.) oui, merci mon frère, bonne journée.
Pfff, son beau-frère oui ! bon, mais c’est pas tout, faut que je retourne au boulot, et que je finisse ce foutu article sur kpalimé et le blogcamp édition 2015, si entre-tempsdes secrétaires n’ont pas laissé traîner des trombones sous les touches de leur clavier. Allô ? c’est le support informatique ? mon ordinateur chante mais il ne démarre pas.
En tout cas la Police, version Service des Passeports est plutôt petits soins et bisounours. Ce chouchoutage tranche terriblement avec l’image que l’on a de ces hommes habillés en treillis, prêts à faire du mal à ceux qu’ils sont sensés servir et protéger. Ces hommes et femmes de Police au caractère désormais aussi trempé que polissé, font preuve de savoir-vivre et de bienséance; un peu de blason redoré sur l’autel des plaintes pour bavures policières qui sont hélas, monnaies courantes sous nos cieux togolais.
Et ce soir, je puis vous annoncer, qu’en fait, je n’ai pas avancé d’un iota, depuis les brouillons écrits à Kpalimé avec le mug du blogcamp rempli de café maxwell (merci Aphtal), et les cigarettes FINE (The Rythm is In You)…
Ceci dit, préparez-vous, aux :
- C’est quoi, je vous ai fait quoi ! je vous dois de l’argent ! pourquoi vous me réveillez ! (Reveil du CEO de Panoramique Creative dont la nuit a été longue… Faire la tournée des boîtes de nuit de Kpalime, nuit à sa nuit ?)
- (je retourne dans le couloir qui dessert nos chambres quand « oups » coupure de courant) woooow, ze sui mouru ! Ma chambre est voisine de celle de Sonya Tomegah ou de Farida Ayeva, je sais plus. Si je me plante, avec un peu de chance (Plante-toi, et le ciel t’aidera à y demeurer jusqu’à la fin du blogcamp)… non, en fait, je suis seulement salaud quand j’écris. Donc je rebrousse chemin dans le noir.
- Séance de retouche photo. On va retoucher Sonya Tomegah. Sans les mains, snif… pourquoi pas… enfin…
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